À quand la (re)fête du Chômage ?
ou
Depuis
quand le chômage est passé de la fête au deuil...
Tout
le monde en a entendu parler :
le mot “travail” descendrait du tripalium romain, “instrument de torture”
(le
mot figure bien dans le dictionnaire latin de Gaffiot)
« Oh !
L'implacable essaim des devoirs parasites
Qui
pullulent autour de nos tasses de thé !
Ainsi
chôment le cœur, la pensée et le livre,
Et,
pendant qu' on se tue à différer de vivre,
Le
vrai devoir dans l'ombre attend la volonté. »
Sully
Prudhomme, Les vaines tendresses, “Le temps perdu”. (1875)
►
Ce terrible
mot trouve sa source au XIIe siècle, du bas latin caumare, “se reposer
durant la chaleur”, lui-même issu du grec καΰμα (Kauma), “chaleur brûlante”
(qui a par ailleurs donné le mot “calme”).
Voyez-vous, en
ces temps antiques et malgré l’esclavage, l’on cessait le travail par temps
de grosse chaleur, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui. La chrétienté
en a profité pour rappeler que le travail, fort distrayant pour l’esprit, empêchait
les fidèles de penser à Dieu alors que l’arrêt du travail pouvait profiter
à la prière :
les moines du Moyen Âge, vivant de tout sauf du travail, en savaient quelque
chose. D’où l’usage de “Chômer la fête d’un saint ”
et, par ellipse, “Chômer un saint ”.
Cette
transition entre prier un saint et le fêter a forcé l’ouverture de la notion :
le chômage fut ainsi associé à l’idée de fête.
Un jour chômé
est donc une fête :
« Laissons
venir la fête avant que la chômer »
Molière,
Le dépit amoureux, I, 1. (1656)
« Le
mal est que dans l’an s’entremêlent des jours
Qu’il
faut chômer ; on nous ruine en fêtes :
L’une
fait tort à l’autre ; et monsieur le curé
De
quelque nouveau saint charge toujours son prône. »
« Il
faut que ma mère ait quelque saint à chômer, dont je n’ouïs parler de ma
vie, pour m’avoir préparé durant la nuit mon beau sarrau et ma toque de cérémonie. »
Charles
Nodier, Contes fantastiques, “Trésor des Fèves et Fleurs des Pois”.
(1837)
« On
dit proverbialement : il ne faut point chômer les fêtes avant
qu’elles ne soient venues, pour dire qu’il ne faut point se réjouir,
faire éclater sa joie pour une chose qui n’est pas encore arrivée. On dit
encore en ce sens : quand la fête sera venue, nous la chômerons. »
Dictionnaire
de l’Académie,
éd. 1762.
►
L’Académie
du XVIIIe s. (ibid. ci-dessus) illustre en outre ses définitions de quelques
exemples remarquables :
« On
dit proverbialement et figurément d’un homme dont on ne fait nul cas que C’est
un saint qu’on ne chôme point. »
« On
dit aussi Chômer de quelque chose pour dire “manquer de quelque
chose” : Il ne m’a pas laissé chômer de livres. N’épargnez
pas les bois, vous n’en chômerez point, on ne vous en laissera pas chômer. »
« Eh !
eh ! reprit-elle, je fais du mieux que je peux, que le ciel nous assiste !
Chacun a ses fautes et je n’en chôme pas »
►
On trouve
cependant quelques compléments de définition assez pittoresques dans le
Dictionnaire National de Bescherelle, éd. 1856 :
Chômer,
qu’on devrait écrire chaumer ( du bas lat. calamare,
rester sous le chaume [calamus] ) car le mot s’écrivait
ainsi autrefois :
« La
justice a cognoissance et animadversion* aussi sur ceux qui chaument »
[*sévérité dans la punition.
Aujourd'hui : antipathie déclarée]
– Signifie
encore vivre sans rien faire, par paresse, par négligence.
« Je
t’ai déjà dit que j’étais gentilhomme
Né
pour chômer, et pour ne rien savoir »
►
Plus
séduisante est la définition de Jean-François Féraud dans le Dictionnaire
Critique de la Langue Française en 3 volumes, éd. 1787 :
Chômer,
c'est :
1° - ne rien faire faute d’avoir à travailler ;
2° - en parlant des fêtes, les solenniser en ne travaillant pas.
Autrement
dit
(mais ce n'est là qu'une interprétation à débattre...) :
1° - faire quelque chose de personnel faute d'avoir à travailler, comme faire la sieste ou une promenade, ce n'est pas chômer !
2° - cesser le travail, c’est porter la fête au rang de culte !
►
Certains auteurs profitèrent du sens de manquer
pour utiliser le terme dans un “emploi” surprenant :
« Je
me mis sur-le-champ à l’œuvre de démolition, et les passants purent croire,
pour peu qu’ils eussent de l’imagination, que le travail ne chômait pas
chez nous. »
Lautréamont,
Les Chants de Maldoror. (1869)
►
On préfèrera cependant retenir, à titre de déviation
inspirée, l’utilisation qu’en firent quelques auteurs marginaux dans le
sens de fêter :
« Le
temps fini, mon parjure beau-père
Pendant
la nuit m’amena doucement
Sa
fille aînée ; et loin de la lumière
Je
la chômai ; la nuit tout chat est gris.
Je
la trouvai belle comme Cythère,
Dans
le plaisir, douce comme Laïs. »
Henri-Joseph
Du Laurens, La Chandelle d’Arras. (1765)
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